AGADEZ
La grande ville est calme en cette fin de journée, il y fait chaud malgré la saison. L’unique projecteur de l’hôtel Telwa éclaire partiellement le parking. Ici peu de goudron, seulement dans les rues principales. Une poussière beige prend la gorge et uniformise toutes les couleurs. L’hôtel est au standard local, les robinets qui fuient prouvent au moins qu’il y a de l’eau. Les lavabos sont ébréchés, les douches aux bacs douteux, les w.c .... Des ventilateurs déséquilibrés brassent l’air chargé des mouches en vibrant. Les lits sont défoncés, ils iront chercher leurs sacs de couchage plutôt que d’utiliser les draps de l’hôtel. Les pharmaciens s’autoproclameront gardiens de parking ils préfèrent dormir dans leur voiture, comme en bivouac.
Au petit jour, Gégé part en reconnaissances pour chercher du carburant. Il traite avec la Texaco. - Il ne faut pas nous prendre pour des Américains, le Rallye c’est fini ! Rendez vous à neuf heures pour les pleins. Ils prennent leur petit déjeuner sur le parking, comme au bivouac à l’arrière des voitures, sous le regard des gamins qui découvrent ces drôles de « Toubab » avec leurs voitures transformées en case roulante. Agadez à perdu beaucoup de son activité, autrefois les convois de voitures d’occasions arrivaient quotidiennement d’Europe, via l’Algérie en passant par la route transsaharienne défoncée, Alger, Tamanrasset, In Guezzam, puis la sinistre piste Assamaka, Arlit balisée d’épaves de Mercedes et Peugeot n’ayant eu la force ni chance de finir le grand voyage… Ce trafic est remplacé maintenant dans l’autre sens par celui des passeurs qui transportent, comme du bétail, les candidats à l’immigration vers nos pays de rêve. Le plus gros de l’activité est fourni par le Rallye qui a pris l’habitude de faire une étape de vingt quatre heures. La journée de repos est une bénédiction pour le commerce local. Les propriétaires louent des maisons spécialement agencées pour les visiteurs de passage à des prix exorbitants: 200 à 400 000 CFA la journée pour une grande villa avec une cour fermée. L’aérodrome, à la conformité et à la sécurité très controversée, reçoit à cette occasion les sponsors et les invités des grandes marques. Les stations services comme tous les commerces sont assaillis, les marchands de rares pièces détachées automobile et les réparateurs de pneumatiques font fortune. Gare au jour ou la manne annuelle va s’interrompre ! Pour faire les courses il y a une bonne adresse : Le Mini Market on y trouve tout, de l’alimentation aux des pièces détachées de camping-gaz en passant par les vins Espagnols de la Rioja. Il se situe juste avant l’entrée de l’aéroport à quelques mètres de l’agence Temet, c’est le quartier des bonnes affaires. Il est tenu par un couple d’homos Franco Nigérien on ne peut plus sympathique.
-Finissez vos courses, plus le temps de traîner en ville ! Allez faire les pleins à la Texaco au bout de l’avenue de la mosquée et on roule dans une heure maxi, annonce le chef. -Moi je récupère les passeports chez les flic pendant ce temps, ajoute Flo devenue co-organisatrice.
LE TENERE
Pendant presque trois cent kilomètres c’est une piste désagréable qui les attend. De profondes saignées martyrisent les suspensions des 4x4 chargés de carburant au maximum. Il faut rouler doucement pour ne pas détruire les voitures et économiser le gas-oil. Les équipages sont aguerris, plus question de jérémiades, les belles tenues sahariennes du départ sont au fond des sacs de linge sale depuis longtemps. Le Jean/Tee-shirt et les tennis ont remplacé les catalogues de vêtements de sport Columbia, Aigle, Eïder et compagnie, plus de frime maintenant… Les filles ne jouent plus aux filles, le GPS et la cartographie les occupe tout autant que leur trousse de maquillage des premiers jours. Coté mécanique, le matériel bien préparé ne pose pas de problème seule la poussière à envahie les intérieurs en ronce de noyer. -Essayez de vous passer de la clim pendant deux jours, ça nous fera gagner une dizaine de litres. Personne ne commente à la VHF.
Ils sont fasciné par la magie du nom « Ténéré » Depuis des années les commentateurs du Rallye déclament sur tous les tons ce nom et font rêver les foules. L’attentat du 19 Septembre à lui aussi propulsé le Ténéré en vedette. Ils ont, hier soir parlé de la Libye citée comme bouc émissaire dans ce drame qui coûtât la vie aux 170 passagers du vol UT 772. Ils se sentent concerné car dans trois jours maximum ils seront dans ce pays. Les opinions que rien n’étaye se sont forgées sans connaître ce pays qui fait figure d’épouvantail. La Libye ne s’est pas encore ouverte au tourisme et les invitations lancées pour les passages du Dakar sont surtout faite pour redorer une image qui en a bien besoin. L’autonomie est toujours le sujet permanent des conversations à la radio VHF, ils plaisantent pour détendre l’atmosphère. -En cas de pépin nous devrons manger la plus tendre et la plus jeune. -Non, nous commencerons par la plus vielle ou la plus moche, ajoute le butteur, toujours aussi fin et galant.
Gégé est soucieux, le carburant a été calculé au plus juste. En trouveront il à Dirkou ? -Allez on roule ! Quelques kilomètres avant l’arbre, le Toy de Bernard rebondit violemment dans un trou. La sanction est sévère et immédiate : une bride de fixation du réservoir situé sous la voiture lâche. Le réservoir se retrouve cabossé, posé sur la piste, tuyauteries arrachées, et le fuel s’écoule par terre à gros bouillons. En pro de la mécanique, Jack s’y jette dessus et obture la fuite à main nue en attendant mieux. Il faut sauver ce qu’il reste de carburant en le transvasant dans les autres réservoirs. Deux heures d’arrêt et la réparation sommaire à « l’Africaine » est finie. Bilan cinquante litres au moins de perdus. Il lui faudra rouler sur le réservoir supplémentaire jusqu'à ce soir, avec la peur de manquer de carburant qui noue les entrailles, en attendant une réparation plus académique ou un miracle. -A partir de maintenant on ne prononce plus le mot gas-oil car on risque de déclancher une saharite ok ? -Pas de problème, soyez les bienvenus, plaisante Michel… aucuns écho des autres à la radio. C’est le stress quand ils arrivent à l’arbre du Ténéré, une structure de ferraille ou des plaisantins ont accroché des enjoliveurs chromés. La déception est grande, la magie vient de tomber. Le mauvais goût du monument mythique les déconcerte. A partir de là le sable est omniprésent, il faut dégonfler. Ce n’est pas du sable difficile pour rouler, il suffit de quitter les profondes ornières laissées par le passage du Paris Dakar il y a quelques jours. Ce bivouac est certainement le plus triste depuis le début de leur périple, les éclats de rires sont rares et les plaisanteries sans effet. Les conversations tournent au tour de Kadhafi. Discrètement Gégé téléphone par inmarsat à Agadez. Il obtient d’un collaborateur de Mano, la certitude qu’il y a du gas-oil à Dirkou ou les excédents du rallye couvrent souvent la consommation annuelle des véhicules de passage. Il gardera la bonne nouvelle pour lui, ce n’est qu’une fois tout éteint que Florence lui murmurera à l’oreille -C’est pas gentil de faire des cachotteries. -Je ne sais pas de quoi tu parles. -Et moi je sais que depuis que tu as téléphoné et que tu es moins inquiet. Les coulisses de l’organisation, c’est son jardin secret à Gégé, il est surpris de l’intrusion de Flo dans son domaine. Le sauvage a du mal à laisser percer sa carapace par l’intuition féminine. Décidément le charme de Flo fait des ravages sur ce « dur » du voyage, Gégé se sent pris, au piège. Au début c’était par le joli minois de Florence et sa culture, maintenant c’est autre chose. Les autres s’en sont bien aperçu ils en sourient, le chef-voyageur n’est plus l’ours solitaire qu’il voulait paraître au début, il ressemble de plus en plus un ado amoureux. Lui qui roule depuis des années seul, avec une réputation surfaite de caractère de cochon, sent qu’après ce circuit ce ne sera plus comme avant. -Tu sais Flo, depuis quinze ans je vis seul, ce n’est pas facile. L’organisation de ces voyages c’est ma vie, si je n’avais cette passion je ne sais pas si je pourrais vivre et travailler normalement à Montpellier. -Tu fais quoi exactement ? -Je suis « docteur » en informatique, toute la journée je suis au téléphone avec des gens qui ont planté leurs ordinateurs. Nous avons dix ans de retard au moins, les Français achètent des ordinateurs sans savoir exactement ce qu’ils vont en faire, c’est le début, le résultat est désastreux. -Quand je sors, à Montpellier, les gens ne me courtisent que pour me parler d’informatique. Je finis par haïr ces machines. -Et moi qui voulais m’en équiper pour rédiger mes articles. La pleine lune en direction de Fachi illumine les dunes... -C’est chez moi dans le midi que tu écriras ton prochain article, ce ne sont pas les ordi qu’il manque. Plus un mot, une déclaration comme ça au milieu du Ténéré se passe de réponse, et elle se blotti contre lui.
Le soleil pointe sur la mer de sable, la nuit frisquette les a surpris, le bivouac est vite plié direction le puits d’Achégour. Si il avait eu la certitude de trouver du carburant à Dirkou il serait passé par Fachi mais la traversée par l’erg aurait fait flamber leur consommation. Gégé joue la sécurité.
Au puit d’Achégour l’organisation du rallye a regroupé quelques véhicules éclopés, abandonnés par leurs équipages. Seul un gardien attend les camions de remorquages. C’est un migrant Nigérien sur la route de la Libye ayant pour objectif l’Italie ou il parait que la vie est belle… Il s’est fait embaucher pour garder les voitures pendant quelques jours. -Depuis quand es tu là ? -Quatre ou cinq jours répond l’homme, complètement hors du temps. -Comment es tu venu ici ? -Je me suis fâché avec mon transporteur et il m’a abandonné au puits. -As tu à manger ? Avec un grand sourire il soulève une couverture et leur montre son trésor : au moins vingt kilos de rations de survie et des bouteilles d’eau que lui ont laissé les chauffeurs des camions balais. Il est heureux et ainsi nanti ne se fait aucun souci pour la suite de son voyage. -Comment vas tu continuer ton voyage ? -Inch Allah !
-Gégé viens voir, il y a au moins deux cent litres de coco dans cette bagnole… Je sens que le gardien va devenir l’homme le plus riche d’Achégour ! La réparation du réservoir de Bernard à l’air de tenir bon, à la suite d’une courte négociation ils siphonnent le carburant du véhicule accidenté et donnent plus d’argent au pauvre bougre qu’il n’en avait espéré. -Si on roule bien en suivant les grandes balises ce soir nous serons à Dirkou avant la nuit, annonce Christian qui étudie sa carte en permanence. -Exact mais ce n’est pas une raison pour se relâcher annonce le chef. Ils roulent tous de front en direction du Nord Est de part et d’autre de la grosse trace laissée par les camions du rallye. Depuis midi les sourires sont revenus, non seulement à cause de la providentielle station service d’Achégour mais surtout parce qu’ils se sont aperçu que le chef parlait tout seul à la radio ! Bizarre ? Emmanuel a vite fait de trouver le canal secret sur lequel Gégé compte fleurette à Florence. Ils écoutent les tourtereaux ! Ça restera le secret de polichinelle pendant tout le reste du voyage. Dirkou apparaît dans le fond du décor. Des l’entrée, entre les cahutes un militaire un peu trop autoritaire et agressif leur crache : -Passsport !! Avant même qu’ils n’aient le temps de le saluer ou de sortir des voitures. -Bonjour lui répond Michel. -Passsport ! Hurle l’autre. -Bonjour répète Michel. -Passsport vocifère l’homme en colère. Déd avec son gabarit de seconde ligne et sa démarche simiesque caractéristique du rouleur de mécanique, s’approche de lui avec détermination. Il lui tend la main et lui broie les phalanges... -Bonjour mon capitaine ! Comment vas tu mon ami ? dit il au flicaillon qui n’est pourtant qu’homme de troupe. La terreur en uniforme examine les plus de deux mètres et les cent vingt kilos plantés devant lui. -Bi-jour, répond lentement le bidasse mi figue mi raisin. No comment. Une grande tape dans le dos et la vérification des passeports est terminée.
La soirée à Dirkou se passe au fond d’un jardin derrière une maisonnette bien équipée, avec plusieurs douches et sanitaires en parfait état. Miracle de l’Afrique ? L’explication est facile à trouver, c’est la maison de passage d’un grand Team du rallye. Certaines écuries fortunées ont, dans les villages étapes que le rallye fréquente depuis des décennies, fait construire ou louent à l’année des maisonnettes relativement propres et biens tenues. Ils les utilisent aussi quand ils viennent en « essai privés » ce qui est le nom pudique de « reconnaissances interdites ». Ces maisons sont utilisées le reste du temps par une agence de voyage amies, comme Temet, ce qui traduit veut dire en clair : assistance sauvage au passage du Rallye. En contrepartie les fûts d’Avgas des voitures de courses et le stock de gas oil des camions ainsi que les encombrants pneus des camions d’assistance sont discrètement stockés à l’abri des petits voleurs dont la spécialité est de mettre un peu d’eau à la place du précieux liquide. C’est un bivouac agréable, sans envahisseurs ni quémandeurs, un gardien se charge de les maintenir à distance. Jean Mi les informe -Il fait moins six à Montpellier, je viens d’avoir ma femme au téléphone, certaines routes des Cévennes sont fermées. -Tu n’avais qu’à lui dire qu’ici toutes les pistes sont ouvertes ! Mon dieu comme ils sont loin de tout ça ! Des le lever du jour les vendeurs de pétrole sont là pour essayer de placer leur marchandise. Il y a tellement de carburant de reste, cette année à cause des nombreux abandons, qu'après le passage du Rallye qu’ils vont se permettre de marchander. Le moral est revenu, le timing n’est toujours pas rétabli mais ça s’améliore, il reste le grande inconnue : Combien d’heures ou de jours vont ils passer à Tumu pour entrer en Libye ? Parfois il n’y a personne et les formalités se font à Al Katrum, mais rien ne se passe jamais deux fois de la même façon sur ce continent et encore moins en Libye. Il faudra quand même s’arrêter au poste de Madama sous peine de ses faire mitrailler, comme cela est arrivé à quelque célébrité des "sahariens", par des militaires aussi dangereux que bêtes et bye-bye Niger.
Ils sont sur le départ quand venant du sud, sur la piste de Bilma, apparaît un vieux camion Mercedes de trafiquants. Ces camions de transporteurs/passeurs se reconnaissent à leur chargement tout en hauteur. Des dizaines de migrants sont perchés sur les ballots de marchandises accompagnés de quelques chèvres ligotées qui servent de garde manger. C’est à N’Djamena ou à N’Guigmi que se sont regroupé les candidats à l’exil. Les passeurs font leurs tarifs, parfois tout l’argent d’une famille suffit à peine à payer ces vautours. Quand on a passé sa jeunesse enrôlé de force dans l’armée ou dans les bandes rivales qui ruinent le Tchad l’avenir est sombre. Leur souhait est de sortir des Griffes d’Hissen Habré, rebelle Toubou ou de Goukouni Ouedaï son frère ennemi et de quitter cet enfer de guérilla et de misère. Ça laisse peu de place aux sentiments patriotiques. Ils sont aveuglé par le mirage de cette Europe qu’ils ne connaissent que par la télévision et les rares lettres de leurs compatriotes qui ont réussi leur migration.
Les passagers sautent du haut du chargement pour se dégourdir les jambes, les militaires si hargneux et tatillons ne les voient même pas. Ces pauvres bougres se sont fait prendre tout leur argent par les passeurs avant d’embarquer. Il n’y a rien à gagner sur eux. C’est donc le chauffeur qui se fera racketter à leur place. Pour survivre les malheureux passeront plusieurs mois en Libye à effectuer les taches les plus ingrates dans des conditions de quasi esclavage. Les plus chanceux trouveront du travail sur les bases des compagnies Canadiennes ou Espagnoles qui ont obtenu de Tripoli des permis de prospection pétrolière y compris en plein embargo.
Ils quittent Dirkou soulagés, la jauge de carburant était elle directement reliée au moral de la troupe ? Un grand reg roulant part plein Nord. -Quand je tourne le capot vers le Nord j’ai le sentiment que les vacances sont finies, déclare la jolie Corinne pour meubler le silence qui s’est installé à la VHF depuis le matin. -Attends de savoir comment se passeront les vacances chez Kadhafi, rétorque Christian. -Vous serez surpris de l’amabilité des Libyens, informe Gégé, c’est sur que le plus dur c’est d’obtenir toutes les autorisations pour rentrer dans leur pays mais ensuite c’est super. Ils longent la falaise en direction de Séguédine, sur la piste ils retrouvent des épaves calcinées abandonnées par le Rallye. Bien avant Séguédine ils aperçoivent de loin le Pic Zoumi planté comme un cairn géant, ça roule bien aujourd’hui, le moral est au beau fixe, les kilomètres défilent assez rapidement. Cap sur Dao Timmi et enfin Madama ou ils sont censé faire les formalités de sortie du Niger. En suivant aveuglément la trace du Rallye ils se retrouvent au coucher du soleil à Tumu sans avoir rencontré âme qui vive ni contrôle sur plus de 500 kilomètres. A Tumu, rien de bien beau, des bidasses dans un campement sale, désordonné et quelques véhicules en piteux état. Une piste d’aviation provisoire en plaques d’envol datant de… il y longtemps. Les Libyens se demande d’ou sortent ses voyageurs aussi frais avec leur superbes voitures. Depuis deux semaines ils voient passer dans le sens Nord Sud tout ce qui gravite autour du Rallye et personne d’autre. Gégé vas en profiter pour leur pondre une salade de sa spécialité : -Nous sommes des VIP venus à Agadez voir la course. -Passport et visas ! C’est quoi VIP ? Une définition du terme VIP, agrémentée de deux bières fraîches et savamment romancée faite par Michel, satisfait tout le monde. -Ah bon, si c’est pour le Rallye, yapadproblêm. Devant une telle aubaine il décide de rouler quelques heures de nuit, ils feront les formalités à Al Katrum demain.
La facilité pour entrer en Libye les déconcerte, visiblement il y a une opération de charme en cour. Il suffit de placer le mot Rallye dans une discussion pour obtenir une issue rapide et favorable, c’est magique. Pas question de poser des immatriculations Libyennes sur les véhicules, ce qui est pourtant obligatoire, de toute façons ils n’ont pas de plaques à leur fournir, simplement un coup de tampon sur le carnet de passage en douane et roulez !
-Vous irez aux douanes de Sebha pour les plaques... compte le dessus pense Gégé
Les purs sentent la fin du voyage, c’est maintenant plus de 1600 kilomètres de goudron qu’il faut remonter jusqu'à Tunis via Tripoli. Gégé se félicite de la tenue de se groupe, en plus il est sur un petit nuage… -Faites attention car ici il n’y a pas de permis de conduire, vous pouvez croiser un gamin de quinze ans au volant d’un camion. -Comment as tu fait pour les formalités et les radios demande Bernard ? -Ben justement, j’ai rien fait. Les Libyens ne parlent ni Français ni Anglais, seulement quelques mots d’Italien. Ça réduit sérieusement les discussions.
Drôle de pays, dont l’essentiel des cinq millions d’habitants vit le long de la Méditerranée et qui oublierait facilement le sud si ce n’était pour son pétrole et ses nappes d’eau fossile qu’ils comptent bien extraire et transporter jusqu’a Tripoli. C’est le grand projet du guide de la révolution, Maamar el Kadhafi, assis au pouvoir certainement à vie. Le pays est maintenant sous embargo, tant pis les Coréens feront le travail sans état d’âmes. Le chantier de la « Grande rivière » bouleversera le paysage pendant plusieurs années, le gigantesque aqueduc fonctionnera t’il un jour ou restera t’il un fantasme à la gloire d’un dictateur mégalo? D’autres dans l’ombre prépareront les sites d’exploitation pétrolière, car un embargo a toujours une fin. Pendant sept ans une compagnie Espagnole (Repsol) s’implantera à la barbe de tous, couverte par une hypocrisie internationale et le jour venu il suffira d’ouvrir les vannes. Les Américains feront aussi mine d’ignorer les prospections Canadiennes. L’or noir fait la loi au delà de la diplomatie!
Les maigres infrastructures du pays souffriront beaucoup de la pénurie engendrée par l’embargo, le port en particulier. Le manque d’entretien des installations aboutira à une activité extrêmement réduite et à son quasi fermeture pour le plus grand bonheur du port de Tunis. Le grand axe routier nord sud fera exception, une providentielle entreprise apatride, tout le monde sait qu’elle est Italienne, va construire sur plus de mille kilomètres une bonne route bien balisée de Tripoli à Sebha, puis encore vers le Sud et l’Ouest en direction d’Oubari. Le pays est tombé sous perfusion de la Tunisie, qui importe tous les biens de consommation et qui sont ensuite acheminés vers Tripoli par une noria de centaines de camions. L’essor du port de Tunis bénéficiera encore de cette providence plusieurs années après la levée de l’embargo.
A l’approche de Sebha, la grande capitale du sud, les tas d’ordures se font de plus en plus hauts et réduisent la largeur de la route ce qui est un signe de richesse. Fort Leclerc sur son promontoire marque au sud l’entrée de la ville. Il surplombe la base aérienne d’ou partaient les Migs qui tentaient d’annexer le Tchad avant que François Mitterand leur calme les nerfs. La France s’y opposera fermement en fixant la limite acceptable de l’invasion au 22 éme parallèle.
Au passage à Sebha il faut faire viser les passeports au service de l’immigration. Ce n’est pas gagné, les services administratifs concernés sont introuvables et avec des horaires mystérieux. C’est avec la sensation de se faire balader qu’ils vont perdre une journée dans un environnement détestable. -Demain on roule vers sept heures, dés qu’il fait jour. -Oui chef ! Lance Michel qui fait une démonstration de tours de cartes devant un aréopage de badauds.
Toute la nuit les chien vont hurler, perchés sur les tas d’immondices, la Libye n’est décidément pas le pays touristique que l’on voudrait nous présenter: c'est un mauvais bivouac! Au premier appel du Muezzin, bien avant le levé du jour, tout le monde est prêt à déguerpir et quitter sans regret cette ville. L’axe routier est peu fréquenté, la circulation est fluide, la moyenne excellente. C’est un bonne route, bien revêtue qui file plein Nord, de temps en temps un contrôle les stoppent. Les contrôleurs sont sympas, tout se passe bien. -Nous éviterons Tripoli par Ar Zintan, c’est une bonne piste puis un petit goudron, ça allonge un peu mais ne prenons par le risque de nous faire bloquer à Tripoli par un contrôle tatillon à cause des plaques d'immatriculation. Ceux qui comptaient visiter les gigantesques ruines Romaines de Leptis Magna en seront pour un autre voyage. Mais le chef a parlé, sa décision est prise. -Il faut sortir du pays, ensuite nous serons libre de notre emploi du temps.
Le contrôle final est au poste de Ras Edjir, c’est le seul point de passage ouvert au tourisme. Une file interminable de camions vides allants vers Tunis leur bloque le passage plusieurs kilomètres avant la frontière. -Si on ne trouve pas une combine, nous y sommes pour plusieurs jours ! - Je vais essayer de remonter la file et de négocier, décide Gégé. -Je viens avec toi, répond Flo sans lui demander sont avis… et elle saute dans sa voiture... Décidément ce chef... Les palabres commencent avec les policiers de la première barrière, conclusion il faut aller à une deuxième barrière. Un officier des douanes en uniforme crasseux mais coiffé d’une casquette de Waffen SS leur accorde un passe droit. Florence s’empare de la VHF pour annoncer la bonne nouvelle. -C’est bon, venez nous rejoindre, n’oubliez pas d’emmener ma voiture ! Elle vient de faire la plus grosse bourde de sa carrière Saharienne, résultat : Quand les autres arrivent, tous les émetteurs VHF sont saisis par le Libyens
-Il faut téléphoner au consulat de France à Tripoli pour qu’ils nous aident à les récupérer. -Evites maintenant de sortir le téléphone satellite devant eux sinon je crains le pire.
La réponse consulaire est claire. Primo, ils n’en ont rien à faire. Secundo, débrouillez vous. Tertio, de toute façons on n’y peut rien et il est tard le consulat doit maintenant fermé. C’est bien souvent ce genre de réconfort que l’on reçoit des délégations diplomatiques Française dans nombre de pays. Ceux qui se sont trouvé un jour dans l’embarras ne démentiront pas.
-Vous allez vous poser dans un coin, vous faire oublier et je vais essayer de rattraper le coup. -Veux tu que je vienne ? -Non Flo, pour aujourd’hui c’est bon. Gégé a repris sa mauvaise tête, c’est tout seul qu’il va entreprendre le « cirage de pompes » Quelques heures et quelques thés infects plus tard, il est devenu ami avec le douanier gestapiste. L’officier l’a reçu dans une immense pièce meublée d’un bureau, de deux chaises bancales et d’un portrait fané du « Guide » À même le sol s’entassent des dossiers certainement de la plus haute importance. Le fonctionnaire imbu de son autorité l’écoute. L’affaire est conclue, ils laisseront tous leurs derniers dinars Libyens pour faire un don… au croissant rouge en échange de la restitution des postes de radio. Malgré sa rage froide, il fait semblant de ne pas être pressé, il s’informe de tout et de n’importe quoi. L’autre, content d’être écouté, se lance dans un discours sur le sérieux des douanes et de la police de son pays… banalités et salamalecs d’usage.
Il se fait tard la frontière ferme, ils sortiront demain à la première heure. La nuit à la frontière ressemble à ce qu’ils ont connu à Guerguerat à leur sortie du Maroc : Immondices, odeurs d’urine et attention particulière envers les rôdeurs qui ne manquent pas.
Bon, les copains ça sent la fin, alors pour réveiller ceux qui dorment pendant le film:
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A bientôt pour la finale en Tunisie!
_________________ A quand le prochain départ?
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